Abidjan, 28 mai 2025 - Alors que l’économie mondiale traverse une période de turbulences marquée par les tensions commerciales, les conflits géopolitiques et l’inflation persistante, l’Afrique affirme sa résilience. Le rapport « Perspectives économiques en Afrique 2025 », publié par le Groupe de la Banque africaine de développement (BAD), propose un changement de cap fondamental : ne plus attendre que le développement vienne de l’extérieur, mais mobiliser, valoriser et investir les ressources du continent lui-même. L’ambition est claire : faire du capital africain, qu’il soit naturel, humain, fiscal, commercial ou financier, le levier central d’une transformation structurelle durable.
La croissance économique africaine devrait atteindre 3,9 % en 2025, et 4,0 % en 2026. Des chiffres solides qui placent le continent juste derrière l’Asie en matière de dynamisme économique mondial. Vingt-et-un pays africains dépasseront les 5 % de croissance, et quatre d’entre eux: l’Ethiopie, le Niger, le Rwanda et le Sénégal, franchiront la barre des 7 %, seuil considéré comme essentiel pour réduire durablement la pauvreté. Ces performances sont d’autant plus remarquables qu’elles s’inscrivent dans un contexte de réduction de l’aide internationale, d’augmentation du coût de la dette et de fortes incertitudes mondiales.

Mais au-delà des chiffres, le rapport de la BAD repose sur un constat stratégique : l’Afrique possède déjà les moyens de financer son propre développement. Avec des politiques efficaces et une gouvernance renforcée, le continent pourrait mobiliser chaque année jusqu’à 1 430 milliards de dollars de ressources internes supplémentaires, sans même avoir besoin d’augmenter la fiscalité. Ce montant repose sur trois leviers : l’amélioration de la collecte fiscale, la réduction des pertes liées à la corruption, à l’évasion fiscale et aux flux financiers illicites, et l’optimisation des investissements publics. A lui seul, le secteur informel pourrait générer 125 milliards de dollars par an s’il était correctement structuré et intégré dans les politiques économiques nationales.
Le rapport identifie cinq formes de capital que l’Afrique doit mieux exploiter. Le capital naturel d’abord : le continent détient 30 % des réserves mondiales de minerais, et une valorisation accrue de ces ressources pourrait rapporter des centaines de milliards de dollars. Le capital humain ensuite, avec une population jeune (âge médian de 19 ans) qui représente un atout considérable si elle est formée, en bonne santé et intégrée dans le marché du travail. Le capital fiscal et commercial sont également essentiels : une administration fiscale modernisée, conjuguée à la pleine mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), permettrait d’amplifier les recettes tout en stimulant la production locale et les échanges intra-africains. Enfin, le capital financier : les fonds de pension africains dépassent aujourd’hui 1 100 milliards de dollars, et les transferts de la diaspora pourraient atteindre 500 milliards par an à l’horizon 2035 si leur coût était réduit et leur formalisation renforcée.

Mais ces potentialités sont menacées par des pertes massives. En 2022, l’Afrique a perdu environ 587 milliards de dollars à travers les flux financiers illicites, le transfert abusif de bénéfices par les multinationales, et la corruption. Ces fuites dépassent de loin les flux entrants enregistrés la même année (190,7 milliards de dollars), confirmant que l’Afrique perd davantage qu’elle ne reçoit. Pour inverser cette tendance, le rapport appelle à une refonte de la gouvernance publique, à une plus grande transparence dans les finances publiques, et à un renforcement de l’État de droit.
Le texte va plus loin en recommandant la création d’une agence africaine de notation de crédit (AfCRA), pour corriger les biais systémiques des agences internationales qui pénalisent le continent. Il préconise aussi la mise en place d’un mécanisme africain de stabilité financière et d’un institut monétaire continental. Autant d’outils destinés à bâtir une architecture financière propre à l’Afrique, capable de réduire sa dépendance aux marchés extérieurs et d’améliorer sa souveraineté monétaire.

L’un des messages les plus forts du rapport est l’appel à une mobilisation collective autour des jeunes et des femmes. Aucun développement durable ne sera possible sans leur pleine participation à l’économie, à la politique et à l’innovation. De même, la diaspora africaine est perçue comme une force stratégique. Elle ne doit plus être tenue à l’écart des décisions politiques, mais activement engagée à travers des obligations diasporiques, des programmes de transferts de compétences, et des politiques fiscales incitatives.
Enfin, le rapport interpelle la communauté internationale. Il appelle à une réforme en profondeur de l’architecture financière mondiale (notation de crédit, fiscalité internationale, financement climatique) et à la fin des partenariats inéquitables fondés sur l’extraction brute des ressources. A la place, il propose un nouveau pacte : des coopérations équitables, transparentes, et centrées sur les objectifs communs, notamment la lutte contre le changement climatique et les inégalités globales.
Pr Kevin Urama
Le message est sans ambiguïté : l’Afrique a les moyens de se développer. Le véritable enjeu n’est plus l’accès aux ressources, mais la volonté collective d’en faire bon usage. Comme l’a déclaré le professeur Kevin Urama en conclusion de son discours à Abidjan : « Lorsque l’Afrique alloue efficacement son propre capital, les capitaux mondiaux suivent. Rien ne remplace une gouvernance solide, la transparence, et l’investissement dans nos propres forces. »
En somme, c’est un appel à la confiance. A la responsabilité. Et à une Afrique qui cesse d’attendre qu’on l’aide à se lever, pour marcher par elle-même.
Amichia PIO